Une petite pluie fine
baigne Paris depuis deux jours. Je rentre chez les parents, venant de
chez mon pote Michel. La chaussée est glissante sur
les pavés de la rue Gambetta à Malakoff. L’éclairage
de mon vélo porteur n’assure qu’une très
mauvaise visibilité et je slalom afin d’éviter les
rails de l’ancien tramway si néfastes au jantes
de vélo .
La
pluie a l’air de vouloir cesser…. Derrière moi
me parvient un bruit de moteur. Arrivé à
ma hauteur, le pilote, casqué de cuir, un ciré
jaune sur le dos, me jette un œil. L’engin, un cyclomoteur de couleur jaune
à filets rouges est équipé de volumineuses
sacoches de toiles huilées. Le conducteur accélère
….
Je
continue ma route en pédalant de plus belle.
En
arrivant à la porte Brançion, un attroupement
et de nombreux cyclos sont rassemblés. Je m’arrête,
curieux,
intrigué par ce rassemblement. Renseignements
pris, c’est un regroupement en vue du départ
en ce bien frileux mois de juillet dune randonnée
Paris - Helsinki - Paris à l’occasion des jeux
olympiques en cette année de 1952. organisée
par l’A.F.C.M.(*). |
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Je m’intéresse
à ces machines dans ce domaine ou je suis
complètement ignare et je découvre des
marque telles Cointot, Cazenave, équipés
de moteur Le Poulain et Vap 4 ainsi que six autres cyclos
identiques à celui rencontré précédemment
sur mon chemin: des Eriac à moteurs Cucciolo
à 4 temps de 48 cc (Système identique, il me semble,
au side René
Gillet du
Père). Très surpris, j’apprends que
se sont des modèles grand tourisme spécialement
apprêtés pour cette épreuve, dotés de suspensions
intégrales par anneaux de caoutchouc,
de porte-bagages
surbaissés, d’un double système d’éclairage.
Je questionne quelques concurrents et j’apprends
que le chemin est long vers Helsinki, que l’épreuve
aller et retour s’effectuera sous forme de randonnée
logée sous la tente chaque concurrent assurant
son matériel de camping .
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Il faut que je pense à
rentrer au bercail. Les
parents vont s’inquiéter (il est bientôt Minuit) et la
place Cambronne est encore éloignée.
J’ai des
idées plein la tête en enfourchant mon
porteur. La nuit fût courte. Je n’arrive
pas à prendre le sommeil en pensant aux joies
que pourraient me procurer la conduite d’un cyclo. Cette
idée n’est pas prêt de se concrétiser
car le B.E.I.
en candidat
libre est
pour 1953 suite logique de mon C.A.P. que j’ai obtenu
cette année. Il va falloir que je redouble d’efforts.
Des cours du soir sont organisés depuis 2 ans par la ville de Paris et en plus du
boulot !!!!. Enfin, j’ai toute l’année
et surtout que je puisse lancer mon idée et de
la faire accepter en particulier par la « Mère « et
ça .. c’est pas gagné.
Les mois passent … Noël ne m’a pas trop gâté
(un gros pull bleu, avec un V blanc sur la poitrine,
c’est un signe?). Pâques arrive. Je pars
en camping avec mon pote Michel pour une semaine en Vendée.
Au retour,
nous sommes dans la dernière ligne droite avant
l’examen. J’arrive de temps en temps à
placer mon idée de cyclo autour de la table familiale.
La Mère n’est toujours pas d’accord mais j’ai
confiance au Père…. Le B.E.I. se passe bien.
Il me semble! Mais, c’est la grande attente des résultats…..
Ca y est nous sommes en juillet et les résultats sont affichés
attestant ma réussite. Vers le 20 du
mois, le Père me dit qu’il avait pris contact
avec les Établissements Rocher au dépot
de Puteaux. Ils vendent 5 cyclos Eriac en occasion récente.
Je ne m’attends
pas à une telle nouvelle de sitôt.
On doit y aller lundi prochain…Le jour arrive, on prend notre
seul moyen de transport soit le side. Le cœur battant, je grimpe sur le tand-sad
de la René
Gillet et nous voilà partis vers Puteaux.
Les machines sont là,
dans un coin du local des livraisons. On doit choisir. Mais laquelle?
Elles sont toutes identiques. La n° 8 me semble pas mal. (Elle porte de chaque côté une plaque carrée soudée
sur le porte- bagage surbaissé et portant le
n° 8). C’est bien un ERIAC grand tourisme Type Paris –Nice 1951 à moteur " Cucciolo
" 4 temps à 2 vitesses, suspension intégrale
par anneaux de caoutchouc. Peinture jaune et filets rouges, double éclairage (Volant magnétique
et dynamo sur la roue avant et double feu arrière).
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Cette série de
cyclos préparée spécialement
pour l’épreuve Paris –Nice 1951 a été
révisée, nous a-t-on expliqué, en vue
de la revente. Je suis ébahi devant la machine.
Dans le Vé du guidon, une plaque perforée reçoit un compteur de
vitesse et une montre ainsi, qu’en son centre, un voyant commandé par
un interrupteur. Ces Machines sont semblables à
celles vues au depart du Paris Helsinki l’année
passée, avec un simple éclairage…
Le
règlement s’effectue et après réception,
nous installons, à grand renfort de sangles et
de couvertures, l’engin dans le side. Au retour, comme d’habitude, la Mère
rouspète et donne au Père toute la responsabilité
d’un tel achat (C’est un grand classique). Les vérifications
des niveaux se font et quelques coups de pédale pour faire monter
l'huile. On
ferme le volet d’air, décompresser avec la poignée
tournante, et ça doit péter
…
Rien !!!
Rebelote, avec un peu plus
de gaz…
Ca tourne. Le moteur a rugit … enfin presque !! ( 48 cc)
Je ne sais pas si ce soir je vais bien dormir car demain
se sont les premiers essais de roulage. Levé
de bonne heure (Tu parles). Je sors la Bête dans
la ruelle où nous habitons. Mise en route sans problème sur
la béquille. J’enfourche, débrayage, première,
un peu de gaz, j’embraye et me voilà parti.
Des arrêts. Des départs. Ca me plait ….
Je crois que j’ai attrapé le virus.
Depuis quelques temps mon pote Michel a l’air de me
faire un peu la gueule pourtant il a eu, pour Pâques,
un cyclo Cazeneuve avec moteur "Le Poulain"
49.cc. tout
neuf. Maintenant, on va pouvoir faire des sorties vers Chaville
ou le bois de Meudon et la forêt de Senart.
En septembre j’ai trouvé un boulot à
l’usine. T.E.M. de Saint Ouen à l’autre
bout de Paris. Ca
va être plus plaisant que le vélo. J’achète
un casque de cycliste à lanières de cuir
comme les coureurs de Bordeaux – Paris. Les
mois passent. Le boulot me pèse sous le hangar
où nous travaillons malgré les brûlots
où nous nous réchauffons de temps en temps……..Vivement
le printemps. Le soleil est plus chaud et avec
l’arrivée des beaux jours, mon pote et moi, allons
le week end dans les carrières d’Argenteuil ,des
Lilas ,de Montreuil, assister, avec nos pétoires,
aux moto cross où se distingent nos champions de l’époque tels
que Brassine, Leloup, Mingels, Ladevèze,Verrechia,
Cheyney, Charrier, etc. Vers le mois d’août,
c’est la période des vacances, j’ai 3 semaines
de repos.
Nous avons
projeté, avec mon pote Michel, d’aller rendre visite à nos grands parents respectifs. Bien entendu
avec armes et bagages. J’ai acheté,
avec mes premieres économies, une paire de sacoches
en cuir au surplus américains de la rue Lourmel ainsi qu’une petite tente de
2 places à La Hutte. Pour le reste on verra ….
et on a
vu….. Départ au petit matin du 4 août
par la porte d’Orléans, après avoir fait
le plein de nos bêtes et acheter quelques provisions
pour la route (Saucisson pain, gâteaux secs
et eau ), en direction de Buzençais dans l’Indre.
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Ca roule pas mal
(40 – 45
km/ h.) et le voyage se fait sans encombre. Nous arrivons
vers 18 heures, accueillis par les grands parents de
Michel. Nous
sommes un peu fourbus car c’est notre première
grande étape. Très bonne ambiance il y a aussi
2 cousins de Michel qui sont venus en voisin
pour nous
voir. C’est un événement et surtout pour discuter autour de nos
bécanes. Nous resterons trois jours à faire quelques balades dans
le coin. Puis nous décidons de reprendre la route.
Le plein d’essence, je vérifie le niveau d’huile,
je complète avec de l’huile (Subtilisée au grand père
de Michel) car il en manque un peu. Les effusions d’usage,
les embrassades et recommandations et nous voilà
partis pour Pontigny dans l’Yonne chez mes grands parents
maternels. A road again to Pontigny…Ca roule toujours
bien.
Quelques arrêts casse
croûte, boisson essence… La pétoire de
Michel fait des siennes elle marche par à coups.
On s’arrête.
Ca doit venir de l’essence. On démonte. Y'a de l’eau dans
le carbu. On souffle chacun son tour dans le gicleur
(Aller savoir pourquoi? ). On remonte …Ca repart !
Nous arrivons à Bleneau. Il est 13 heures. Arrêt
en ville pour visiter le pont canal. On repart mais le Cucciolo ne veut rien
savoir.. Ca doit venir de la bougie: pas d’allumage.
On change de bougie: toujours rien. C’est peut être
les vis « platinées ».
On ouvre la
trappe d’accès. L’ouverture du rupteur
est bonne.
Je gratte
les contacts avec la pointe de mon couteau (Je n’ai
rien d’autre) toujours pas d’allumage. Voyons
le fil de bougie… Après quelques essais ça
doit être lui qui est cause. Je bricole un raccord
de fortune avec un bout de fil électrique extrait
de la trousse a outils (Merci Papa )... Ca y est ça
braise. On
est content. On prend quelques photos. Et on repart…
On traverse le pont Paul Bert à Auxerre à une heure d’affluence (Pour
l’époque) direction Pontigny, par la national
77, nous arrivons vers 18 heures. L’accueil
des grands parents est grandiose, la grand mère
pleure de joie. Le grand père, lui est plus mesuré.
Ca va le bousculer de ses habitudes. Le tonton, cordonnier
de son état, arrive sur sa grise AV 3 comme chaque soir, pour le repas. La grand mère a fait une tarte aux
pommes. C’est
bon !!! Dodo, ont est crevés…
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Le lendemain, réveil
à 9 heures, frais et dispos. Après une
toilette dans le grand bac en pierre du jardin, je décide
de faire visiter l’abbaye cistersienne de Pontigny que
je connaît très bien pour l’avoir fréquenté
pendant les années de guerre ayant évolué dans les
combles pour dénicher les jeunes pigeons que
la grand mère nous cuisinait. Au retour,
je retrouve deux potes du moment et on discute en sifflant
ensemble une bouteille de Valstar, assis sur le banc
devant le
monument au morts. Tiens ! La petite Violette N. a bien changée en 8 ans. C'est
vrai qu’elle doit frôler les 18 ans!
(Glups) Apparemment toujours aussi farouche.
(C’est vrai que c’était pas très facile
a cette époque). On rentre, je passe chez la père
Graillot le mécanicien du pays pour prendre une
longueur
de fil H.T. pour l’allumage du Cucciolo ainsi qu’un petit
bidon d’huile, car il faut que je fasse une vidange
à 600 km. Je chauffe un peu la mécanique
en faisant deux tours dans le pays histoire de frimer
un peu (J’ai
17 ans!). Au retour vidange à l’aide
de la clé à bougie (C’est pratique). Puis un ½
litre de SAE40 (C’est l’été).
Je change
mon fil de bougie et ça y est ça tourne
. Deux jours se passent et l’oncle Billey et
son épouse arrivent en fanfare avec la Terrot
350 cc Hssc de 27 (Ex celle de mon Père, avant guerre) l’échappement
étant épris d’une certaine liberté,
chose courante à cette époque bénie.
Elle est toujours fringante la moto du Tonton car sous
la couche de cambouis et de terre elle a toujours de la vivacité.
Malgré, qu’ elle aie perdu son lustre
d’antan et quelques ressorts de selle. Il a beaucoup
de jeu dans les biellettes de fourche mais toujours
une bonne compression le J.A.P. !! L’oncle
Billey s’intéresse à nos bestioles et
est étonné que mon Eriac soit un 4 temps. Des discussions animent cette
fin d’après midi … En selle Adrienne on rentre… (Après
avoir torché 2 ou 3 coups de blanc avec le grand
père ). Un bon coup de kick. Il vont
rentrer avant la nuit, car la bête n’a pas d’éclairage
(Option
d’époque). Notre séjour dans
l’Yonne se poursuit et après une partie de pèche
avec les cannes du tonton cordonnier, nous songeons
à rentrer car les vacances touchent à
leurs fins. Les adieux se font et les sacoches
pleines de gâteries pour la route et fruits confits
faits par la grand mère à l’attention
des parents, nous voici en selle pour le retour.
Ca roule bien,un arrêt casse-croûte à
Sens, un plein d’essence, nous arrivons à Paris
vers 19 h. Il fait très chaud et nous sommes
complètement usés. Le repas chez les Parents
très content de nous revoir sains et sauf est
vite expédié et Michel repart chez lui
à Montrouge. D’autres sorties viendront.
Le Cucciolo a bien marché mais les vitesses passent
mal. La couronne du pédalier (en alu) donne des
signes de faiblesse. Je démonte pour vérifier
et là! Consternation, la couronne est constituée
de secteurs en acier à « férer
les bourris », rives sur le plateau en alu
tout, a pris du jeu et ça saute parfois à
la mise en route du berlingot. Je vais y remédier
à l’atelier le samedi matin avec l’accord du
chef d’atelier. (Ah ! l’heureux temps).
Pour les vitesses qui passent
mal après avoir essayé différents
réglages par le système extérieur, je me résouds
à ouvrir….et c’est un bloc moteur c’est à
dire tout déboyauter la tripaille. Après la vidange
j’arrive à tout sortir (J’ai quand même
quelques outils) et là..Par sang bleu !!!
toute la
pignonnerie vient avec le côté du carter
ainsi qu’une palanqué de galets et d’aiguilles
non engagées !!
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J’ai eu quand même la
bonne idée de mettre un chiffon sous le moteur (Re merçi Papa). Fourchette
de commande faussée. Après quelques semaines
d’attente de la pièce, j’attaque le remontage. Avec pas mal
de galères pour arriver à remettre ensemble
ces pu… de bo…. d’aiguilles autour de leurs arbres respectifs.
J’ai toujours gardé
ce cyclomoteur. J’ai eu bien entendu d’autres motos : une 250
Guiller à moteur AMC suivie par une 250 Puch
SG. Etc !!! Il a été mis en
vente par mes parents pendant ma période militaire
chez un parent garagiste à Vendôme. Mais
n'a jamais été vendu. Je l’ai récupéré
en 1978 avec la ferme intention de le restaurer. Mais,
le fils aidant, il est parti, en même temps que
la 350 cc Terrot de l’oncle, qu’il me l’avait gracieusement
donné, chez un collectionneur des environs de
Meulun. J’ai
toujours cette image des deux machine étalées sur le plateau du camion …Que
de regrets ! Que sont devenues ces motos ?
Mais tout ceci est une autre histoire.
NB:"A
lire l’attelage du père" Bernarbracam.
(*) Association Française
de Cyclomotorisme
Pour les amateurs de cyclo :
PARIS NICE 1952 |
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