La nouvelle de Bernarbracam

 

La Brough Syrienne 

Le soleil déclinait... Déja quelques oiseaux sortant de la torpeur de cette journée de fin d'été , venaient égayer de leur chant la palmeraie où nous étions installés depuis deux mois, près de Al Harat dans le nord de la  Syrie.°
Ce fut comme un murmure, insaisissable à l'oreille. Le chien dressa la tête ; c'était un de ces chiens sans race,  batardé de partout, mais d'une grande fidélité ; il était là dès notre retour de l'opération que nous avions effectué sur des objectifs rebelles au nord de Kafriyah en juillet 1925 .

Le son s'amplifait puis par moment s'estompait pour revenir plus fortement. Cette sonorité  rugueuse,  je  l'avais déja entendue. Elle était inscrite dans ma mémoire, à coup sûr c'était une moto et pas n'importe laquelle : sûrement un gros twin !
Le chien
  aboya, mon aide de camp s'approcha et me dit « On a de la visite mon Capitaine ! »

Je vis apparaître dans un nuage de poussière, sortant d'un défilé rocheux qui le masquait à nos yeux, un équipage des plus inattendu : un militaire en tenue d'officier chevauchant une moto de forte cylindrée ! 
L'homme s'arrêta  devant la garde à l'entrée du campement puis se dirigea  dans notre direction .          

A 10 mètres de l'endroit où je me tenais, il arrêta son  moteur, leva ses lunettes sur sa casquette qu'il avait à l'envers, posa son havresac à terre et me lança :

-Hello Bill,  how are you my dear ?

Et là, je reconnu le Major Thomas Edward Shaw, officier SR du 15ème  régiment de sa majesté le roi George V : mais que venait-il faire en cette contrée pour le moins inhospitalière ?

Nous nous saluames avec chaleur car notre amitié était réelle, mue par une passion commune découverte au TT de 23 sur l'ile de Man.

 

- Mon cher, je suis en mission. J'ai fait un détour par El Harat pour te saluer
et te faire admirer ma dernière acquisition : ma danseuse en quelque sorte.
Elle me coûte très cher
  mais me donne bien du plaisir !  

J'avais en face de moi  une machine couverte de poussière dont seul le  réservoir nickelé, lustré par les genoux de son conducteur, renvoyait  par éclats les rayons du soleil couchant.

- Je suis très heureux d'être ici car j'ai perdu sur la piste, ma réserve d'huile  pourtant bien fixée et je suis au mini dans les réservoirs !
 

Je m'approchais de l'engin et reconnu une splendide Brough Supérior  SS 100 dont le collecteur d'échappement était fendu sur le tube inférieur, ce qui explique le bruit sur la piste diffusé amplement par le 1000 JAP habituellement très silencieux.
 


Je donnais quelques instructions pour redonner une certain lustre à cette machine, puis Thomas et moi nous dirigâmes vers la cantine quand un bruit d'avion nous captiva : c'était le Postal du vendredi ; un vieux Devon FE 2b de 150 hp  atterrissant sur la piste de fortune avec des embardées dignes des meilleures cascades.

En bout de course le pilote sorti de son  bacquet  après avoir lancé à un mécano présent une sorte de colis logé dans le deuxième bacquet du tandem
et que je pris pour une arme, mais qui n'était que
l'arbre de transmission commandé il y a une vingtaine de jour et destiné à notre Morris de liaison
 

La nuit tombait, joyeux et repus, nous nous préparions à passer une bonne nuit non sans avoir largement abusé de notre Glenn préferé.

Le lendemain, debout dès cinq heures, après "les couleurs", tout le monde reprend la routine journalière :(garde, exercices et corvées).

Vers dix heures,  le soleil est à son apogée et darde de ses lames de feu ce pays de pierres et de sable.

Thomas vient d'apparaître ; je vais à sa rencontre. La Brough est devant sa tente. Elle a été bichonnée, la fuite sur l'échappement est maintenant étanchée provisoirement et les suintements d'huile sur la boite n'apparaissent plus. La machine est resplendissante malgré les sacoches de tôle fortement martellées par quelques pierres.
 


 

- Tu admires ma maitresse, me dit mon hôte. Regarde cette splendeur mécanique et 100 Mph my dear. Its my fast lady.
(FL 656°°)

Georges m'a assuré qu'avec la 100  SS, j'irai jusqu'au bout du monde.

J'avais sous les yeux une merveille d'équilibre et la puissance majestueuse du JAP 980cc de 45 hp. Que de pureté dans ces deux cylindres dressés comme un défi et s'harmonisant avec la ligne fluide du réservoir nickelé, permettant ainsi
au premier coup d'oeil à toute personne s'intéressant au monde de le moto de reconnaitre une Brough sans qu'il soit nécessaire de l'inscrire sur les flancs du réservoir.
Et puis cette sonorité envoutante
 qui caractérise le "Vé Twin" et concrétisé

par la  ligne d'échappement si particulière avec ses deux pots superposés

terminés en queue de poisson.

- Bill, il faut que nous quittions », m'annonçat Thomas.

- Je dois me rendre à Alep. Je viens de recevoir un vibro °°°  vers 9h, ensuite

je rentre définitivement au pays ; tout est organisé en haut lieu.

- A ce sujet je prends le taxi, le pilote a reçu l'information. Mon vieux Bill, je

te demande de bien vouloir me réexpédier la Brough dans 3 semaines vers le

port de Lattaquié d'où elle doit rentrer en Angleterre par le Victoria Quenn. »

Je ne puis qu'acquiéscer dans son sens.

Dans l'heure suivante Thomas était près de nous quitter. Il vint me saluer,

s'éloigna vers l'avion tous pleins faits, s'arnacha du parachute et jeta son barda dans le bacquet. Il grimpa et me fit un signe de la main. Le  Devon se rendit

en bout de piste ; le pilote mis les gaz, le biplan s'élança dans  le hurlement

de ses 9 cylindres en étoiles.

L'avion disparu bien vite derriere un piton rocheux, s'envolant vers le nord.

Nous ne devions plus nous revoir car nos chemins étaient différents.
Mon activité militaire touchait à sa fin et je me retirais, avec mon épouse enfin rassurée, dans une lointaine
 contrée française.

Thomas fût anoblit et j'appris bien plus tard qu'il se tua avec la Brough sur la route de Moreton dans le Dorset.

Ainsi disparut Sir thomas Edward Shaw dit Lawrence d'Arabie.
Colonel de l'armée britannique, aventurier et écrivain ayant rendu de
 grands services à sa patrie.


Je dédis cette nouvelle à sa mémoire en  souvenir de notre amitié et de notre passion commune pour le sport motocycliste.                                  

                                                Signé   Captain William Sydney Horton

Ex offiçier de sa Majesté le Roi Georges, détaché et commandant la 8éme compagnie du 143 ème régiment  d'infanterie coloniale basée au Moyen Orient.

  Ndlr :

( ° )  Il faut savoir que la Syrie était sous mandat Français depuis 1920 mais
les Britanniques étaient encore impliqués dans tout le Moyen Orient : Syrie, Palestine, Liban et une partie de la Turquie
 (°°)Immatriculation de la Brough
(°°°)Système particulier utilisé pour la transmission du Morse 

Bernarbracam