L'attelage du père

 

 

Nous sommes en 1937 dans la région parisienne le Père travaille en tant que garçon maçon et chaque jours c’est  le trajet Paris 15e vers  Clamart et retour à vélo ,suite a la vente de la Terrot  HSSO de  1927 a un oncle dans  l’Yonne.

L’auto le tente mais elles sont rares et chères et puis la moto c’est la liberté  totale.   Promu chef maçon , le désir de reprendre le guidon le taraude ;    Il rencontre un vieux pote :Victor Walk, agent  Indian et Renè Gillet rue Mathieu a St ouen qui lui propose un attelage  1000 J René Gillet +  Side 2 places dont je ne sais plus quelle marque .   L’affaire se fait et l’apprentissage de la conduite commence au début assez hasardeuse et chaotique ; puis l’habitude s’installe….

Nous partions ,souvent le dimanche, ma mère sur le tand-sad et moi dans le side pour une virée dans le bois de Meudon. 
La semaine de conge annuel (eh! oui) arrivait et nous devions nous rendre pour visiter la famille dans la Sarthe
Le matin du départ, dès  6 h, nous étions fins près avec les bagages, les outils et le pneu de secours sur le nez du side.
Le cérémonial de départ :  avance a zéro, un soupçon de gaz, l’air fermé ,action sur le titilleur du carbu puis debout sur le kick pour passer une compression ,un bon coup de jarret et le bicylindre s’ebroue sans  se faire prier .   Le père enfonce sa casquette , ferme soigneusement son cuir, ajuste ses lunettes …. première et nous voilà partis ;  la ville s’éloigne ….. J’ai une vue magnifique sur la campagne .nous traversons les villages qui s’éveillent et dont je sens la  chaleur et les odeurs.   A ma gauche, de temps en temps, j’admire le travail des ressorts de soupapes que laissent entrevoir les fourreaux argentés du moteur ; l’échappement  est couvert par le vent de la course.        Il me semble encore entendre  ces bruits mécaniques au régime de croisière de 80 km/h  Le voyage se poursuit avec quelques arrêts :  Rambouillet, puis Chartres pour faire le plein (reservoir de 12 litres)
P
lus tard, vers Brou, le moteur a le hoquet, on ferme l’air un court instant pour avaler quelques saletés qui sont venues obstruer le gicleur de marche puis ça repart…. Vers midi nous sommes a Mondoubleau, des arrets pipi et pour grignoter un brin (le père a son litre) .Maman a mal aux reins ,elle vient me rejoindre dans le side .Nous repartons et a  Bresse sur Braye un plein de 8 l. plus  un peu d’huile SAE 30 dans le réservoir d’huile  vont nous amener a notre destination  ou nous sommes attendus .  
Nous arrivons à13 h .L’accueil est monumental  (pouah ça pique et ça colle !  enfin c’est la famille . )  avec cidre et rillettes mais le père préfère le Noa* du grand père. 
Ce  fut notre seul grand voyage. La René Gillet n’a jamais rechigné  pendant le retour vers Paris.
Quelques temps plus tard, au printemps 39  ,l’armée française réquisitionne la moto et la mort dans l’âme,    le père a du conduire son attelage a la gare des  Batignolles ou il a remis la moto  et le volet C (carte grise de l’époque)aux autorités contre une somme d’argent dérisoire….      Une grande parenthèse s’ouvre et le père fut mobilisé puis fait prisonnier. Il ne devait revenir que 5 ans plus tard  d’un séjour en Allemagne…..
Les temps sont difficiles pour une maman avec un enfant de 8 ans et la solution est venue par mon départ chez mes grands parents maternels dans l’Yonne et là : je retrouve un peu de ce que j’avais perdu , en mon oncle Billey  et la terrot HSSO , et en mes grands parents anglais de naissance. Mon grand-père  , ancien militaire, officier de sa Majesté le roi George* ; possédait dans les années  20 a 30 des motos, dont la seule a ma connaissance, était une BSA 500 (empire star ?)   .Mon grand père ne parlait pas beaucoup (mais il agissait) , je n’ai pas eu beaucoup d’infos de sa part, c’est l’oncle qui m’a tout appris sur lui .

Enfin la guerre se termine avec tous ses malheurs engendrés  le rationnement , on manque de tout, l’essence est rare et hors de prix  ., le marché noir florissait encore .

Depuis son retour le Père n’est plus le même ; il a perdu son emploi , il cherche sa voie ; tonnelier pendant 2 ans ; il se lance dans l’aventure des fruits et légumes ; mais il lui faut un véhicule,  mais lequel ?  Une Citroen C4 qui n’a pas duré longtemps , une 201 Peugeot  pendant quelques mois avec de nombreux problèmes (pont arrière graissé a la sciure de bois , lames de ressorts ressoudés).  IL lui fallait, du fiable du solide : et puis il y a toujours la Bête qui sommeil  ( a 20 ans il a possédé un 500 Automoto  bicylindre a courroie)  .   La moto : et pourquoi pas ?

Victor est toujours  rue Mathieu , mais pas de René Gillet1000 

comme avant la  guerre, ni solo ni side ; peut-être une 750 dans  quelque temps      ….  On attend ; l’affaire se fait courant  Mai 50.  C’est une 750  type G de 1938 en parfait état attelée a un châssis  et side  Bernardet de 1 place ½ venant de Bretagne (il n’a pas été  livré a l’ordre de réquisition) .   La ½ place c’est le coffre ; c’est un peu juste pour les colis de légumes achetés aux Halles, aussi le Père décide de  démonter la caisse et d’en fabriquer une autre, beaucoup plus en rapport avec les besoins .

A grands renforts de cornières et de planches de récupération l’affaire se fait en quelques dimanches et l’installation sur le châssis se conclut après avoir retiré les 2 lames de ressorts . C'était très pratique car fixé avec seulement 6 vis   papillons de 8 . Le dimanche matin j’étais donc de corvée ( pas trop astreignante) pour réinstaller la caisse Bernardet sur le châssis  car, souvent, l’après midi , dès 14 h. nous allions au moto cross desButtes a Morel a Montreuil ou aux carrières d’Argenteuil  voir nos héros de l’époque :, Brassine  , Leloup et bien d’autres Verrechia, Aziani   Bontemps etc…

Le lundi, jour de fermeture, Le Père assure l’entretien  de l’attelage ; alors lui vint  l’idée, afin d’augmenter sa capacité de transport , d’adjoindre  a la moto et son side , une remorque  qu’il trouva au puces de st Ouen.   Nous n’avions pas de garage et tous ces travaux se faisaient soit sur le trottoir soit dans une petite courette que nous louait un voisin .   Chaque matin vers 4 heures, mon père partait  vers les Halles de Paris l’attelage etait dehors dans la rue, été comme hiver  sous une simple bâche la moto était parfois recouverte de neige ,un coup de chiffon et ça  démarrait au 1er ou 2eme coup de kick c’est dans un tel équipage qu’il revenait vers 8 heures  en seconde vitesse souvent , parfois il lui fallait  se relever sur les repose pieds wagons pour voir ce qui pouvait venir de sa droite …….          
Eh oui c’était une autre époque.
Que de bons moments , que de souvenirs de ces années que l’on dit glorieuses . Les affaires marchent bien ,puis l’auto est arrivée avec un pratique Citroen type H essence de 11 cv. Mais ça !c’est une autre histoire…….

B. Landais. Membre du RMS de Changé

*Vin issu de cépage Noa  dont la culture et la consommation est interdite de nos jours.

**Voir une précédente nouvelle : La Brough Syrienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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