Nous sommes
en 1945 ; les heures noires s'effacent doucement.
Dans un village
du sud Sarthe, une jeune femme vient de m'acquérir chez
le Maréchal-ferrand, réparateur de cycles et forgeron
à ses heures.
Il est vrai
que je suis séduisante avec la livrée bleu-nuit
et mes filets dorés, je brille de tout mon nickel ;
Oui je suis encore nickelée car mes frères et
mes soeurs ont vu le jour dans les années 20. ils n'ont
pas tous l'embrayage qui me valorise et cette boite à
2 vitesses qui me permettent de filer à 40 km/h (une folie
vous dis-je).
Vous m'avez
deviné : je suis une BMA(que ce terme est horrible)
Avec un cadre ouvert modèlè dame, on m'appelle
aussi Ecclésiastique car je peux accueillir Mr le Curé
mais ma préférence va aux
dames
pour lesquelles je reçois leurs si jolis frou-frou.
Pour mieux me
connaître, je suis une Bma de marque LABOR : Type AS2 Modèle 1933, mais moi je suis
née en 39 ! Mon moteur est
un Zurcher 98cc
2
tps.
J'ai été
accueillie au sein du groupe Gentil avec Thomann, la Française,
Armor et Olympique. le Groupe a
racheté mes Parents en 1927 car nous sommes
d'une vieille famille française : ainsi mes grands-parents
fabriquaient déjà des cycles et mes arrières-grands-
parents du matériel ferroviaire.
____Mes aventures____
Au début
j'assurais la promenade dominicale dans les environs de L'homme
(72) puis ma charmante conductrice décida de m'utiliser pour
se rendre à son emploi.
Moult crevaisons
et réparations s'ensuivirent, petit à petit, malgré de bons soins, ma livrée ternissait ;
je vieillissais de plus en plus et il m'arrivait d'aller me recycler (c'est le mot) chez le réparateur-forgeron
du pays.Je fus même empreinte par un rustre qui me fit
subir outrages et injures lorsque je ne lui donnais pas satisfaction. Il vint un temps
ou, usée par des chemins chaotiques, on deçida
de me laisser me reposer sous un hangar; à attendre je ne
sait quoi. Quelques temps
plus tard une nouvelle compagne me rejoignit,
( une 4 cv il me semble), Ainsi ma cavalière me délaissait
Le temps passait.
Puis dans les années 80 ont vint me chercher ; un jeune
homme me pris dans sa fermette avec la ferme intention de me
restaurer un jour ... On m'a même remisée dans un grenier pour que je ne subisse
pas les affres de l'oxydation mais le mal était en moi
De longues années
passèrent ; puis un jour la porte du grenier s'entrouvrit
et je fis la connaissance d'un "ancien amateur de
vieilles mécaniques" qui fut séduit par mes
formes et mon cadre ouvert. On me
tira, me hissa, je dégringolai de mon grenier. Le
temps avait fait son oeuvre : je n'étais
pas brillante.
Mes roues étaient
bloquées, mes pneus gercés, mon cadre rouillé,
mon réservoir fuyard, enfin je n'étais pas belle
a voir ; Mais j'avais gardé tous mes membres, tous mes
attributs et ce fût une chance pour moi.
___La ressurection_____
On m'installa dans un atelier ou malgré
mes rides, mes restes ont du séduire
car on m'a pris en photos sous tous les angles. je me
suis même surprise a laisser échapper une larme huileuse...
La clinique
était chaude et la vie, pour moi, devait
revenir par des soins esthétiques importants.
Je fus désossée,
nettoyée, ponçée, polie . J'ai du subir
d'affreux traitements car mon cadre, rouillé, a été
plongé dans un étrange bain que l'on dit acide
afin de me mettre à nue. On s'empressa de me passiver
avant de me recouvrir de plusieurs couches d'apprêt.
Je du ensuite passer dans les mains de mon nouveau maître
pour un ponçage soigné afin de pouvoir recevoir ma
nouvelle robe.
Mon coeur s'était
arrêté il y a bien longtemps mais on a su lui redonner
de la voix
Mon système
électrique fut refait.
On changea tous mes roulements, mes rayons et mes pneus.
Enfin j'ai repris ma belle couleur bleu-nuit et mes filets dorés attirent désormais bien des regards.
On a même retrouvé les filets pare-jupe qui faisaient ma singularité.
Les accessoires qui avaient été
dispatchés pour réfection m'ont été
remontés comme il y a 63 ans aujourd'hui.
Maintenant je
gambade joyeusement et mon rire enchante mon nouveau maître
Des séances
photos, les expositions me ravissent, j'ai même eu les
honneurs de la presse.
___Conclusion_____
Mon caractère
reste entier, je ne suis pas de celles que l'on commande par
une simple poignée tournante.
Mes leviers
sont nombreux et ne se laissent
pas s'apprivoiser facilement. Mon coeur pour, ne pas dire
mon moteur, est commandé au guidon par une manette
à droite surmontée d'une seconde commandant ma boite. Sous ces manettes, il y a le levier
de frein avant ( un ralentisseur semble-t-il ? ) A gauche le levier de débrayage
en dessous duquel se situe le levier de frein arrière, sans
oublier celui de compresseur
pour
arrêter mon coeur en fin de balade...
Il faut que je vous dise : je suis encore vierge...de
toute immatriculation car dans ma jeunesse ce n'était
pas utile. Mais faudra-t-il y penser désormais ?
Miss Labor. Article paru dans
La vie de la moto du 1er juin 2004 |